Arrêt Blanco : résumé, problématique, portée [FICHE D'ARRÊT ENRICHIE]
- Pamplemousse

- 27 sept. 2024
- 12 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 avr.
L’arrêt Blanco du 8 février 1873 est une décision fondamentale du droit administratif. Ce grand arrêt consacre la responsabilité de l’État et la compétence de la juridiction administrative pour en connaître. Faits, procédure, prétentions, question de droit, portée juridique… Découvrez une fiche d’arrêt enrichie de l’affaire Blanco !
Sommaire :
III. Analyse de l’arrêt Blanco
L’arrêt Blanco du 8 février 1873 est une décision fondamentale puisqu’il consacre le principe de la responsabilité de l’État (même en l’absence de faute) et y attribue la compétence au juge administratif de ces conflits.
On vous dit tout sur l’arrêt passant par les faits, la procédure, les thèses en présence, question de droit avec la solution et la portée, sur Agnès Blanco et le wagonnet.
Contexte historique :
Pour bien comprendre le contexte dans lequel est née l'affaire Blanco, rappelez-vous qu'au 19e siècle, l’État français jouissait d’une quasi-irresponsabilité pour les dommages causés par ses agents. Ainsi, l'ensemble les actes de puissance publique ne pouvaient pas être attaqués devant les juridictions ordinaires. Mais l'évolution de notre société et l’expansion des services publics ont obligé notre Droit à évoluer.
I. Fiche d'arrêt de l'arrêt Blanco
La fiche d’arrêt permet d’introduire de manière structurée l’affaire : des faits qualifiés juridiquement, en passant par la procédure, tout en mettant en exergue les arguments des différents intervenants*, pour établir le problème de droit soulevé au juge qui y répond dans sa solution.
Faits de l’arrêt Blanco
Dans les faits de l’affaire Blanco, le 3 novembre 1871, une enfant a été victime d’un dommage causé par un wagonnet d’un service exploité en régie par l’État*.
Le représentant légal de la victime a saisi les tribunaux judiciaires de Bordeaux (24 janvier 1872) pour que l’État et les employés du service public soient déclarés civilement responsables du dommage sur le fondement de la responsabilité civile (art. 1382 à 1384 du Code civil).
Procédure de l’arrêt Blanco
Le représentant légal a intenté une action contre le préfet en tant que représentant de l’État et les ouvriers du service public devant le tribunal civil de Bordeaux.
Le préfet a proposé un déclinatoire de compétence le 29 avril 1872 pour que le juge judiciaire se déclare incompétent au profit de la juridiction administrative [Ndlr : Voir une fiche d'arrêt sur la juridiction administrative].
Le 17 juillet 1872, la juridiction de première instance a rendu un jugement* rejetant ce déclinatoire. Le conflit a été élevé devant le Tribunal des conflits.
Thèses en présence de l’arrêt Blanco
Le préfet décline la compétence de la juridiction judiciaire tandis que le requérant l’estime compétente pour statuer sur la réparation de son préjudice, en vertu des règles du droit civil.
Question de droit de l’arrêt Blanco
Dans cet arrêt, il s’agissait de savoir si la responsabilité de l’État relevait des règles de droit civil.
Solution de l’arrêt Blanco
Le Tribunal des conflits a posé la solution selon laquelle l’État est responsable des dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie et c’est le juge administratif qui est compétent pour connaître d’une action en réparation à son égard.
La juridiction aboutit à cette conclusion en écartant les règles du droit civil qui sont établies dans le « Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ».
Elle précise que la responsabilité de l’État n’est ni générale ni absolue.
II. Présentation de l'arrêt Blanco
📚Contextualisons d’abord cette décision qui révèle l’autonomie du droit administratif par rapport au droit civil, avant de procéder à sa lecture analytique et son résumé.
Contextualisation de l’arrêt Blanco
Le droit administratif est le droit qui encadre les prérogatives de l’administration. Cette dernière agit pour l’intérêt général*.
Revenons à nos wagonnets. Pour parvenir à assurer l’intérêt général, l’autorité administrative est dotée de prérogatives spécifiques dites « exorbitantes du droit privé ». C’est-à-dire qu’il s’agit d’attribution que ni vous, ni nous, ni la société qui vous vend des bougies parfumées n’avons dans nos relations juridiques.
On parle encore de « prérogatives de puissance publique ». On vous laisse le loisir de découvrir tout ce que recouvre cette expression auprès de vos enseignants.
Pourquoi l’administration en jouit-elle ? Parce qu’elle doit assurer cet intérêt pour tous*. Il faut donc, naturellement, qu’elle puisse agir avec le moins d’entraves possible, sans pour autant se laisser aller à l’arbitraire.
Pour en revenir à nos chariots, encore, l’arbitraire peut être défini comme la possibilité d’agir en l’absence de cadre, par sa seule volonté, en l’absence de règles.
Donc, oui l’administration peut agir, oui, elle peut prendre des mesures qui, adoptées par des personnes privées, seraient inenvisageables (vous imaginez si votre chargée de TD vous imposait de rester confiné dans sa salle pour s’assurer que vous préparez vos devoirs ? De quel droit ?) ; mais non, elle ne peut pas agir sans limites.
Les limites sont le droit, la loi, les règles qui l’encadrent*. C’est l’arrêt Blanco qui a posé la première pierre à cet édifice qui sera développé au gré des époques par le juge administratif.
*C’est la raison pour laquelle nous avons une juridiction administrative qui exerce des contrôles de la légalité des actes pris par l’administration ! Vous retrouvez le fameux « recours en excès de pouvoir » [Ndlr : Voir un commentaire d'arrêt sur le contrôle de légalité].
En somme, l’arrêt Blanco est venu consacrer l’autonomie de ce droit, par rapport au droit privé en établissant les bases de la compétence de la juridiction administrative. Il a ouvert la voie à la construction prétorienne de ce droit administratif.
Autrement dit, sans Agnès Blanco, vous n’auriez pas des tonnes d’arrêts à apprendre ! Pas d’Agnès, pas de droit administratif. Pas de droit administratif, pas de FIGADA. Cet outil révolutionnaire qui vous aide à mémoriser vos centaines de décisions en droit administratif 💌.
Lecture analytique de l’arrêt Blanco
Nous appelons lecture analytique le procédé consistant à lire de manière structurée la décision pour en tirer les premiers indices qui vous aideront à la commenter. Commençons par son en-tête avant d’envisager ses considérants.
L’en-tête
On qualifie d’en-tête les éléments suivants :
Que devez-vous en comprendre ?
Tribunal des conflits → la décision a été rendue par le Tribunal des conflits, c’est-à-dire la juridiction qui est chargée de résoudre les conflits de compétences entre les juridictions de l’ordre judiciaire et l’ordre administratif (art. R. 771-1 du CJA et R. 111-9 du COJ).
Vous devez donc comprendre que l’affaire concerne un conflit entre ces deux ordres de juridictions.
N° 00012 → numéro de la décision. Référence à fournir pour la recherche (et pour la citer !) ;
Publié au recueil Lebon → signifie que la décision est suffisamment importante pour être publiée dans ce recueil ;
M. Mercier, rapporteur → il s’agit du magistrat chargé de l’instruction de l’affaire, c’est-à-dire de réaliser les démarches qui vont permettre de la « mettre en état » d’être jugée.
⚠️ À ne pas confondre avec le « rapporteur public » qui était autrefois, jadis, appelé « commissaire du Gouvernement ».
M. David, commissaire du Gouvernement → justement, le voici. Cette mention est peut-être la plus importante de toutes celles que l’on vient de scruter.
Le commissaire du gouvernement est un magistrat chargé de faire connaître son appréciation de l’affaire. Il est intéressant de chercher et de lire son rapport pour une meilleure compréhension de la solution rendue par la juridiction !
Lecture du 8 février 1873 → la date de la décision qui vous permet de la contextualiser et de l'inscrire dans vos connaissances.
VISAS → tous les paragraphes de la décision qui commencent par « vu ».
Pourquoi ? Parce que ces visas sont les références juridiques et factuelles (textes et éléments de faits) sur lesquels se fonde la juridiction. Un bon moyen pour avoir une idée de ce dont elle va traiter.
Dans cette espèce, c’est notamment le vu « les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an 3 » qui nous intéresse. On comprend immédiatement, à sa lecture, qu’on est sur la séparation des fonctions administrative et judiciaire.
Les considérants
Analysons rapidement les différents considérants de la décision pour avoir une idée générale de l’affaire.
Le premier considérant nous renseigne sur les faits et les demandes des requérants.
Le considérant suivant pose le principe et la solution (il est découpé en trois paragraphes). Il est donc le plus important, celui que vous devez mettre en évidence, car il va vous permettre de dégager le plan de votre commentaire !
Après avoir lu ces différentes informations, on comprend qu’il y a une histoire de responsabilité de l’État qui avait été invoquée sur le fondement du droit civil, ce que le Tribunal des conflits a écarté, reconnaissant la compétence de la juridiction administrative dans cette espèce.
Résumé de l’arrêt Blanco
En résumé, des agents d’un service public causent un dommage à un particulier. Une demande en réparation est formulée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire. Un conflit de compétences est alors soulevé par le préfet qui présente un déclinatoire de compétence pour que le juge judiciaire rejette cette prétention.
L’affaire est élevée devant le Tribunal des conflits qui tranche en faveur de la compétence de la juridiction administrative, reconnaissant, par la même occasion, que l’État est responsable.
La juridiction exclut les règles du droit civil lorsqu’il s’agit de statuer sur la responsabilité d’une personne publique qu’elle soumet à l’appréciation exclusive du juge administratif.
III. Analyse de l'arrêt Blanco
🤓 Pour analyser un arrêt, qu’il s’agisse de Blanco ou Cadot et compagnie, il faut d’abord en dégager la problématique. Vous pourrez ensuite l’expliquer en établissant son sens, c’est-à-dire ce que le juge a dit, pour terminer sur sa portée, c’est-à-dire ce qu’il apporte au monde juridique.
Problématique de l’arrêt Blanco
La problématique permet d’inscrire l’arrêt dans un cadre théorique plus général :

Les juridictions de l’ordre judiciaire sont-elles compétentes pour statuer sur une action en réparation à l’égard d’une personne publique ?
Explication de l’arrêt Blanco
L’explication permet d’établir le sens de l’arrêt. Ce qu’expose le Tribunal des conflits dans Blanco signifie (sens) que le juge administratif est compétent pour connaître de la responsabilité des dommages causés par des agents publics, exclusion faite des règles posées par le Code civil.
L’État et les agents qu’il emploie sont responsables ;
Cette responsabilité échappe aux règles du droit civil ;
Elle relève de la compétence de la juridiction administrative.
Ainsi, par l’arrêt Blanco, le Tribunal des conflits consacre à la fois la responsabilité de l’État à raison des dommages causés par des services publics et la compétence de la juridiction administrative pour en connaître.
Portée de l’arrêt Blanco
L’arrêt Blanco a une portée très large, puisqu’il fonde, quelque part, tout notre droit administratif. Il a marqué la spécialisation et l’autonomie du droit administratif par rapport au droit civil.
Par la suite, la juridiction administrative s’est progressivement « autonomisée », et pour plus d’information, on vous renvoie à l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889.
Dans cette décision, c’est le service public qui a été le critère déterminant la compétence de la juridiction administrative [Ndlr : Voir un commentaire d'arrêt sur la notion de service public]. Ce raisonnement évoluera progressivement, au gré des décisions de la juridiction.
En effet, le service public n’est plus « LE » critère déterminant de la compétence du juge administratif. Il peut être « industriel et commercial »*, ouvrant la voie à la compétence du juge judiciaire en cas de litige (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain).
De plus, la loi elle-même peut venir bouleverser la répartition des compétences entre juge judiciaire et administratif (par exemple, la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public). Tenez donc, si Agnès s’était fait renverser à cette époque, on n’en serait pas là !
Pour finir, la plus haute juridiction de l’ordre administratif a rompu avec une tradition marquée par l’irresponsabilité de « principe » de l’État, qui n’était invocable que si un texte la prévoyait.
S’est progressivement édifié un droit prétorien de la responsabilité administrative depuis l’arrêt Blanco.
IV. Comment mémoriser l'arrêt Blanco ?
🧠 Pour les travaux dirigés ou en préparation des partiels, il est essentiel de retenir la portée de ce grand arrêt du droit administratif Blanco ! On vous l’a dit, il est fon-da-teur !
Pour faciliter la mémorisation de sa portée juridique, une technique efficace consiste à utiliser l'association mentale imagée présente dans les Flashcards imagées Pamplemousse, les Fiches de Droit (les Fiches Illustrées des Grands Arrêts du droit Administratif). D’ailleurs, est évidemment illustré l’arrêt Blanco dans ce recueil de jurisprudences.
Pour cela, imaginez dans votre tête une histoire originale et farfelue autour des informations que vous souhaitez retenir. Ici, la portée juridique de la décision.
Rappel de la portée juridique de l’arrêt Blanco : l’arrêt Blanco fonde notre droit administratif. Il marque la spécialisation et l’autonomie du droit administratif par rapport au droit civil.

Pour mémoriser l’arrêt Blanco, prenons les faits qui sont suffisamment loufoques… on a donc cette petite fille aux énormes couettes blondes (et un t-shirt sur lequel est écrit 1873) qui s’amuse à courir sur les rails de chemins de fer.
Pour illustrer et mémoriser le fait que cette affaire fasse naître notre beau droit administratif et marque la spécialisation et l’autonomie du droit administratif par rapport au droit civil, imaginons qu’un wagonnet conduit par la France (un monsieur avec une tête de France) percute de point fouet la petite Agnès (c’est la vraie histoire !).
La petite fille vole, vole, vole haut ! Jusqu’à retomber la tête la première dans un champ tout en se transformant en petite graine. La graine pousse alors jusqu’à faire naître le droit administratif (on peut illustrer le droit administratif par le FIGADA qui sort de terre). Derrière, le juge judiciaire voit la scène, plus jamais il ne fera du droit administratif.




