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[COMMENTAIRE D'ARRÊT] CE 12/6/2020, GISTI (Excès de pouvoir)


Ce commentaire porte sur l'arrêt GISTI du Conseil d'État (12/6/2020). Découvrez que le juge a crée une nouvelle catégorie d'actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir (apparition d'un droit souple) caractérisé par la volonté de la juridiction administrative de vouloir en contrôler la légalité. (note: 15/20). 🔥

 

Sommaire :


 
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N.B. : Cette copie est le fruit de la réflexion d’un étudiant en droit. La découvrir vous permettra de comprendre le raisonnement de ce dernier, qui lui a valu la note indiquée. Elle vous aidera à ce que vous ayez les outils pour formuler votre propre réflexion autour du sujet donné. Pour rappel, le plagiat est formellement interdit et n’est évidemment pas recommandé si vous voulez vous former au droit. En d’autres termes, réfléchissez vous-même ! Enfin, cette copie n’a pas eu 20/20, gardez un œil critique sur ce travail qui n’est donc pas parfait.


Disclaimer : attention ! N’oubliez pas que selon les facultés et les enseignants, l’approche méthodologique peut varier. La méthodologie utilisée dans cette copie n'est donc pas universelle. Respectez la méthodologie enseignée par vos chargés de travaux dirigés et par vos enseignants 😊



Commentaire de l'arrêt GISTI du Conseil d'État (12/6/2020).

Par une décision GISTI en date du 12 juin 2020, le Conseil d'État réunit en section intègre dans les actes administratifs pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir les documents de portée générale.


En l'espèce, la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières préconise, par une note d'actualité, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'acte de naissance guinéen. L'autorité administrative suspecte en effet que sont réalisées dans la ville de Conakry, en Guinée, des fraudes documentaires sur les actes d'état civil.


Le Groupe d'information et de soutien des immigrées fait alors un recours en annulation pour excès de pouvoir auprès du Conseil d'État, enregistré le 14 février 2018. Il soutient premièrement que la note d'actualité est contraire à l'article L.212-1 du Code des relations entre le public et l'administration. En ce sens, il allègue que le document contesté ne comporte pas tous les éléments de forme nécessaires à sa publication et serait donc irrégulier. Aussi, selon les requérants, l'acte administratif contesté est contraire à l'article 47 du Code civil qui dispose que « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ». Conséquemment, selon les requérants, pour que la note d'actualité puisse être en légalité avec l'article 47, il faudrait établir de manière casuistique que chaque acte civil étranger guinéen n'est pas authentique. La note d'actualité, en prônant le rejet de tous les actes de naissance de Guinée instituerait une présomption de fraude de tous les actes civils guinéens et serait donc contraire aux dispositions du Code civil. Le défendeur argue quant à lui que la note d'actualité ne pourrait pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Effectivement, selon le ministre de l'intérieur, elle ne présenterait pas de caractère impératif et public et est adressée seulement aux destinataires de la note d'actualité, que sont les services de la police, ceux-ci constituant un public restreint.


Dès lors, la question posée à la Haute juridiction administrative est la suivante : une note d'actualité ne présentant aucune valeur normative mais susceptible d'avoir des effets notables sur la situation d'autres personnes que les agents chargés de la mettre en œuvre et promulguée par une autorité publique peut-elle faire l'objet d'une annulation par le biais d'un recours pour excès de pouvoir ? Le cas échéant, la note d'actualité répond-elle aux exigences de l'article L.212-1 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article 47 du Code civil ?


Le Conseil d'État déclare d'abord sur la forme que la note d'actualité contestée, qu'il classe comme document de portée générale, est susceptible de recours pour excès de pouvoir. En outre, il estime qu'elle peut avoir des « effets notables » au regard « la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l'administration française » Il affirme en effet dans un attendu de principe que « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérielles ou non, […] peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés […] de les mettre en œuvre ».


Il estime ensuite sur le fond, que la note d'actualité, bien qu'elle puisse faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, est tout à fait légale. Il atteste que l'autorité émettrice de cet acte administratif est bien habilitée à le faire en vertu de l'article L.212-1 du code des relations entre le public et l'administration. De plus, les juges du Palais Royal rejettent le moyen des requérants selon lequel l'acte contesté serait contraire à l'article 47 du Code civil. Certes, la note d'actualité recommande que soient émis des avis défavorables pour toute analyse d'actes de naissance guinéen. Cependant elle « « ne saurait être regardée comme interdisant à ceux-ci comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l’examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d’y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien ». En ce sens, un examen des demandes au cas par cas est possible, il n'y a pas à remettre en cause la légalité de la note d'actualité. La requête est ainsi rejetée.


Traditionnellement, il n'est pas du ressort du juge administratif de contrôler la légalité des actes administratifs de droit souple [Ndlr : Voir un autre commentaire d'arrêt sur le contrôle de légalité]. Ces actes composant la « littérature grise » (G.Koubi) de l'administration ne disposent pas véritablement d'effets juridiques. On entend principalement par actes de droit souple les recommandations ou avis promulgués par des autorités administratives, actes n'ayant pas de valeur contraignante. Cependant, dans des décisions récentes, le Conseil d'État a revu sa position en acceptant de contrôler des actes administratifs de droit souple. La décision commentée va dans le sens de ces jurisprudences en instituant une nouvelle catégorie d'actes administratifs pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir : les documents de portée générale. Ces derniers englobent de nombreux actes de droit souple à l'instar des directives ou circulaires. Est de ce fait traduit la volonté du Conseil d'État d'étendre le contrôle de légalité du juge administratif à tous les actes administratifs de droit souple.


Ainsi, il sera intéressant d'observer que d'une part, le juge administratif crée une nouvelle catégorie d'actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir, ce qui répond à l'apparition d'un droit souple caractérisé par la volonté de la juridiction administrative de vouloir en contrôler la légalité (I). Il sera d'autre part intéressant d'étudier le fait que le juge administratif détermine sa propre compétence pour contrôler la légalité de ces documents de portée générale nonobstant que son pouvoir d'appréciation rencontre quelques limites (II).


I/ L'élargissement du domaine des actes susceptibles de recours pour excès de pouvoir en réponse à l'essor d'un droit souple, parachèvement de la jurisprudence antérieure


Le juge administratif élargit premièrement le nombre d'actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir en jugeant qu'en l'espèce les documents de portée générale peuvent donner lieu à un recours en annulation (A). Il détermine dans un second temps, par une motivation rigoureuse, les critères permettant la recevabilité des recours pour excès de pouvoir à l’encontre des documents de portée générale (B).


A/ L'insertion des documents de portée générale au sein des actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoirs


« Les documents de portée générale (…) peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir » ; le Conseil d'État (CE), en introduisant ainsi ses motifs, crée une nouvelle catégorie d'actes administratifs pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir : les documents de portée générale. Le recours pour excès de pouvoir (REP) se définit habituellement comme « le recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité » (C.E. Assemblée Dame Lamotte, 17 février 1950). En principe, pour qu'un recours pour excès de pouvoir soit recevable au fond, l'acte attaqué doit être une décision faisant grief. Le recours à l'encontre d'un document émanant de l'administration ayant pour but d'éclaircir une règle de droit qu'elle est chargée d'appliquer était alors irrecevable. Néanmoins, cette idée est progressivement remise en cause par une jurisprudence constante, la décision GISTI étant la plus récente.


Pour comprendre l'état d’esprit du juge administratif, il est primordial d'étudier chronologiquement un panel de trois jurisprudences précédentes, la décision GISTI les couronnant: Crédit Foncier de France, Dame Duvignères et Fairvesta Numericable.


Premièrement, la décision Crédit Foncier de France (Conseil d'État, 11 décembre 1970) expose que les directives et leur application peuvent être contestées lors d'un recours pour excès de pouvoir. Bien entendu, la directive n'émane pas ici de l'Union Européenne mais d'une « autorité administrative qui fait connaître les critères généraux dans lesquels elle entend subordonner ses décisions » (Jean Waline, Droit Administratif). La décision GISTI va dans le sens de la décision Crédit Foncier de France, sans omettre d'effectuer un rafraîchissement linguistique en transformant la « directive » en « ligne directrice ». Il s'agit en effet d'une demande du Conseil d'État, qui dans son rapport annuel de 2013 relatif au droit souple recommande de renommer le terme « directive » afin de les différencier des directives de l'Union Européenne, ce qui avait d'ailleurs été consacré par une décision de 2014 (CAA Paris, 20 juin 2014).


Ensuite, la décision GISTI infléchit la jurisprudence Dame Duvignères (Conseil d'État, Section, 18 décembre 2002) relative aux circulaires. Suivant celle-ci, il suffisait de regarder si la circulaire dispose d'un caractère impératif pour pouvoir effectuer un recours pour excès de pouvoir. Ainsi, ce qui compte n'est pas l'objet de la circulaire mais son effet. Ce critère est étendu en l'espèce aux documents de portée générale « ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ». L'arrêt GISTI ajoute un nouveau critère pour déterminer si une circulaire est susceptible de recours « des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. ».


Enfin, la décision GISTI va dans le sens de la jurisprudence Fairvesta-Numericable (Conseil d'État Assemblée, 21 mars 2016). Selon cette décision, le recours pour excès de pouvoir est possible contre les actes de droit souple à conditions qu'ils produisent des effets notables ou qui « ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il s’adresse ». En l'espèce, la décision GISTI énonce ce même critère « lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ». La décision GISTI se veut donc conforme à la jurisprudence antérieure qui élargit le contrôle du juge sur le droit souple.


La Décision GISTI traduit la volonté du Conseil d'État de ne plus être restrictif en ouvrant à un maximum d'actes administratifs la possibilité de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d'État, à cet égard, énumère les documents de portée générale définis par leur forme « circulaires, instructions,, notes » mais aussi par leur fond « recommandation, présentation ou interprétation du droit positif ». Le syntagme « interprétation du droit positif » peut s'entendre, à titre d'exemple, par le foires aux questions qui sont publiées sur les sites des administrations publiques. De surcroît, il formule que les « documents de portée générale » peuvent être « matérialisés ou non ». Cette dernière précision se comprend facilement : à l'aune de l'ère numérique, la consultation des actes administratifs de droit souple ne se fait plus exclusivement sur texte papier. La note d'actualité avait en l'occurrence été publiée sur internet.


Après avoir ouvert au prétoire les documents de portée générale en tant qu'actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir, le juge administratif indique les critères nécessaires à l'établissement de ce recours (B).


 
 

B/ La consécration de critères permettant de déterminer les actes de droit souple susceptibles de recours pour excès de pouvoir


Le premier considérant indique que les documents pouvant être contesté doivent être de « portée générale ». Sont ainsi exclus les documents visant une seule personne ou un groupe de personnes déterminées. Les conditions de recours pour les documents de portée individuelle sont par ailleurs déterminées par la jurisprudence Fairvesta et Numericable (CE, 21 mars 2016).


S'ensuit que ces documents de portée générale doivent émaner « d'autorités publiques ». Par contradiction, il est aisé de comprendre que sont évincés les documents provenant de personnes privées. L'expression « autorité publique », qui se veut générale, est le résultat d'une jurisprudence constante. Cette dernière portait en premier lieu sur les autorités de régulation (CE, ASS, 21 mars 2016) puis sur les autorités administratives en considération de la jurisprudence Mme Le Pen (CE. Ass, 19 juillet 2019, n° 426389). Par ailleurs, dans le cas d'espèce, la division de l'expertise documentaire et de l'identité dont elle émane est bien une autorité publique habilitée à produire une note d'actualité « en tout état de cause, la note contestée entre dans les attributions de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité dont elle émane ».


La section du contentieux précise que ces « documents de portée générale émanant d'autorité publique » doivent « avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ». Ce qui rejoint une décision d'Assemblée du 19 juillet 2019 qui admettait la possibilité d'effectuer un REP si elle était « de nature à produire des effets notables sur l’intéressée et qui au demeurant sont susceptibles d’avoir une influence sur le comportement des personnes ». Le critère d' « effet notable » est utilisé pour les actes faisant grief, il est à la base du REP. Est célèbre la formule de Laferrière qui souligne ce principe « pour former valablement un recours pour excès de pouvoir, il faut être réellement touché par une décision actuelle ». Ainsi, en l'espèce, il est compréhensible que la note d'actualité puisse faire l'objet d'un REP. La note contestée peut avoir des effets significatifs sur les guinéens, se voyant émettre des avis défavorables sur leurs actes de naissance. On comprend aisément la situation inconfortable que rencontrent les guinéens dans le cas d'une demande de visa ou de titres de séjour. L'effet notable se produit ici dans les relations des guinéens avec l'administration française. C'est pourquoi le Conseil d'État déclare que « Eu égard aux effets notables qu'elle est susceptible d'emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l'administration française, cette note peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ».


Ensuite le Conseil d'État énonce que « Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. » . Le caractère impératif comme critère de recevabilité était déjà prévu par la jurisprudence antérieure qui affirme « les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief » (CE, Section, 18 décembre 2002). Était de ce fait éliminé la possibilité de former un REP contre les lignes directrices établies par l'autorité administrative (CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu). La décision commentée est inédite, dans le sens où elle permet aux documents de portée générale démunis de caractère impératif d'entrer dans le prétoire. Effectivement, le critère d'impérativité est rendu désuet par la décision GISTI. Ce n'est pas parce qu'un document de portée générale est dépourvu d'impérativité, qu'il ne produit pas des effets sur les administrés. Ainsi, pour préserver l'État de droit, le Conseil d'État a mis en place le nouveau critère « de lignes directrices » : l'administration ne peut pas échapper au respect du droit sous prétexte que ses actes de droit souple sont dénués d'impérativité. Si l'arrêt GISTI continue à faire référence à l'impérativité , c'est pour rappeler que les recours se fondant sur le caractère impératif sont toujours possibles. Néanmoins, le critère d'impérativité représente seulement un sous-ensemble des « effets notables ».


Par ailleurs, l'utilisation de l'adverbe « notamment » peut faire réfléchir sur l'avenir jurisprudentiel en matière de critères de recevabilité de REP pour les actes de droit souple. L'usage de ce terme sous-entend hypothétiquement une incitation au juge administratif futur à rajouter des critères de recevabilité.


Dans son premier considérant, le Conseil d'État admet le recours pour excès de pouvoir aux documents de portée générale et non impératifs. La Haute juridiction ne se contente pas d'accroître la justiciabilité des actes non normatifs. En effet, le second considérant de sa décision délimite l'office du juge dans l'examen de ce type d'actes en précisant les éléments susceptibles d'être contrôlés par le juge administratif (II).



II/ La détermination de l'encadrement du contrôle de légalité des documents de portée générale par le juge administratif dans l'exercice de son office et ses limites


Le Conseil d'État définit la manière dont le juge de l'excès de pouvoir doit procéder pour juger de la légalité d'un document de portée générale (A). Toutefois, l’entièreté des compétences du juge de l'excès de pouvoir devant contrôler la légalité des documents de portée générale ne sont pas précisés. L'on peut alors s'interroger sur les limites de l'arrêt (B).


A/ L'encadrement du rôle du juge dans l’appréciation du recours pour excès de pouvoir des documents de portée générale


La méthodologie devant être mise en œuvre par le juge dans le cas d'un REP concernant un document de portée générale est déterminée par la décision GISTI : « Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure. ».


La décision commentée consacre 3 causes possibles d'illégalité. Premièrement, est concernée la « règle nouvelle entachée d’incompétence ». On peut à juste titre se demander : qu'est-ce qui permet de déterminer la compétence d'édiction d'une règle ? Si en l'espèce la division de l'expertise en fraude documentaire est une autorité compétente « la note contestée rentre dans les attributions de la division de l'expertise en fraude documentaire », n'importe quel service peut promulguer des documents de portée générale. Cependant, pour les documents à caractère réglementaire, tels que les circulaires, il est exigé qu'ils soient pris par une autorité déterminée par un texte ou par un chef de service (CE, 7 février 1936, Jamart). Aussi, en l'espèce, le juge administratif vérifie cette première cause d'illégalité. C'est pourquoi il estime que le moyen démontrant que la note d'actualité ne respecte pas l'article 47 du Code civil n'est pas fondé. Effectivement, la note d'actualité n'a pas le caractère de décision, ne liant ainsi pas les agents destinataires devant instruire les dossiers ; la note d'actualité « ne saurait toutefois être regardée comme interdisant à ceux-ci comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l'examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d'y faire droit, le 107 cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 47 du code civil doit donc être écarté. » Ensuite, le Conseil d'État formule deux autres critères que sont l'« interprétation méconnaissant le sens et la portée du droit positif » et la « mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique ». Cette liste non exhaustive de moyens pouvant être invoqués est contrebalancée par le terme « notamment ». En outre, le Conseil d'État ne souhaite pas s'arrêter qu'à ces 3 causes d'illégalité du fait de la pluralité de documents pouvant faire l'objet d'un recours et de la difficulté d'établir des règles générales. Le Conseil d'État s'inspire ici de la décision Duvignères (CE, 18 décembre 2002) qui établit les modalités d'appréciation des circulaires impératives dans laquelle il avait énoncé « que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ». Il est flagrant de remarquer les similitudes des de la décision GISTI avec Duvignères.


Le Conseil d'État s'appuie de nouveau sur cette même décision qui établit les critères concernant les actes de droit souple pris par des autorités de régulation. En ce sens, dans la décision GISTI, le Conseil d'État exige que le juge administratif confronté à un REP pour un document de portée générale tienne « compte de la nature des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane ». En conséquence, peuvent être écartés les moyens que le juge administratif estime inefficaces. En l'espèce, c'est la manière dont procède le Conseil d'État pour évincer la contestation de l'article L.212-1 du Code des relations entre le public et l’administration par l'association requérante « Et, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une décision, le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, relatives à la signature des décisions et aux mentions relatives à leur auteur ne peut qu'être écarté. ». Cet article dispose que doivent être mentionnées la signature et les mentions relatives à l'auteur pour les actes relevant d'une décision, ce qui n'est pas en l'occurrence le cas. On peut se douter que les moyens invocables seront définis progressivement, au gré des décisions rendues. Il ne faut pas oublier que la décision GISTI, datant de 2020 est une jurisprudence récente, comme l'illustre le fait qu'elle tienne la dernière place des Grands arrêts de la jurisprudence administrative.


La section du contentieux définit l'office du juge de l'excès de pouvoir amené à juger la légalité des documents de portée générale. Pour autant, des imprécisions persistent pouvant rendre complexe l'appréciation de la légalité des documents de portée générale par le juge administratif (B).


 
 

B/ La complexité issue de la précision lacunaire de l'office du juge


Habituellement, pour être recevable à agir en recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative plusieurs critères doivent être réunis [Ndlr : Voir une fiche d'arrêt sur la juridiction administrative]. Le requérant doit, entre autres, démontrer son intérêt à agir. C'est ce que souligne la décision Casanova du CE de 1901. Il s'agit de la première imprécision que l'arrêt GISTI comporte. Effectivement, l'arrêt à commenter s'inspire de la jurisprudence antérieure à l'instar de Fairvesta-Numericable mais ne reprend pas dans les attendus de ces décisions les dispositions sur l'intérêt à agir. Aussi, se pose la question de la possibilité pour les groupements d'effectuer un REP contre un document de portée générale. D'ordinaire, l'intérêt à agir peut être naturel ou collectif. Tel est la règle posée par un arrêt de principe concernant dans le cas d'espèce un syndicat (CE, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges, 1906). Dans l'arrêt GISTI, il est question d'un groupement puisque la note d'actualité touche tous les guinéens, qui se voient apposer un avis défavorable dans leur analyse d'état civil. Ainsi, l'arrêt d'espèce sous-entend que l'intérêt à agir peut être collectif mais ne l'explicite pas, ce qui rend nébuleux le recours pour excès de pouvoir à l'encontre des documents de portée générale.


Quid à propos du délai pouvant être intenté ? L'arrêt GISTI se montre une fois de plus imprécis. De ce fait, c'est encore au juge de déterminer, au cas par cas, quel pourrait être le délai applicable. S’il s’agit d’un document publié sur internet, comme c’est le cas en l’espèce, le délai de deux mois devrait trouver à s’appliquer. C'est en ce sens que le Conseil d'État a rendu la décision GDF Suez (Section, 13 juillet 2016) à propos d'un litige opposant la Commission de Régulation de l'énergie à GDF suez sur le délai du recours contre les actes de droit souple. Sinon, c'est un « délai raisonnable » qui primerait comme en dispose l'arrêt GZABAJ (CE, Assemblée, 13 juillet 2016), soit un an à partir du moment où l'acte de portée générale est connu.


Pour finir, il faut noter que la jurisprudence Fairvesta et Numericable, dont s'inspire l'arrêt commenté, n'a guère conduit au prononcé d'annulations. Les annulations contentieuses suite à cette jurisprudence existent mais sont peu fréquentes. Tel est le cas d'une fiche de médicament produite par la Haute Autorité de Santé ayant pour but de modifier le comportement des praticiens (19 juillet 2017, Société Menarini France et autres) ou d'une délibération du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel qui déconseille aux services de télévision de rediffuser un message (CE, 10 octobre 2016, Mme A et autres). On peut alors légitimement se questionner sur la fructuosité de l'arrêt GISTI. Il se peut, à la suite de cet arrêt, que l'administration fasse preuve davantage de rigueur dans la rédaction de ces documents de portée générale, par peur de se voir accoler de nombreux recours. Ou a contrario, l'arrêt GISTI pourrait augmenter considérablement le contentieux, le juge administratif devant alors faire primer son interprétation sur celle de l'administration.


Théo TAUSSAC


 
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