L’arrêt Jacques Vabre rendu par la Cour de cassation le 24 mai 1975 est une décision que vous devez impérativement connaître ! Étudiée dès la L1 droit, elle est régulièrement croisée par la suite. Faits, procédure, prétentions, question de droit, portée juridique… Découvrez une fiche d’arrêt enrichie de l’affaire Jacques Vabre !
Sommaire :
🤓 Analyse de l'arrêt Jacques Vabre
L’arrêt Jacques Vabre a ouvert la voie au contrôle de conventionnalité des lois par les juridictions ordinaires. Ce contrôle permet de vérifier la conformité des lois internes avec les normes internationales, permettant d’assurer l’effectivité de la théorie de la hiérarchie des normes (aussi connue sous le nom de pyramide de Kelsen).
Des faits à la portée en passant par le contexte de l’arrêt Jacques Vabre, vous trouverez dans cet article tout ce qu’il y a à savoir pour bien comprendre cette décision.
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Fiche d'arrêt
La fiche d’arrêt est l’un des premiers exercices enseignés. Et pour cause, il permet de structurer l’introduction d’une décision pour la rendre plus intelligible : faits, procédure, prétentions des différents intervenants, problème de droit et solution.
Faits de l’arrêt Jacques Vabre
📚 Méthodologie : Vous devez toujours qualifier juridiquement les faits, c’est-à-dire transformer les identités des protagonistes en situations juridiques. L’objectif est de conserver toujours la même terminologie juridique pour permettre au lecteur de mieux suivre et comprendre. |
Une société a importé un produit en provenance d’un pays membre de la Communauté européenne (qu’on appelle aujourd’hui « Union européenne »), pour les vendre dans un autre État membre. Une loi nationale (article 256 du Code des douanes) prévoyait une taxe de dédouanement, que les requérants ont estimé supérieure à ce qui était dû conformément au Traité instituant la Communauté économique européenne de 1957. Ils ont assigné l’administration des douanes en réparation et en restitution du montant du trop-perçu.
Procédure de l’arrêt Jacques Vabre
Les demandes des appelants ont été accueillies par la cour d’appel de Paris. L’administration des douanes s’est pourvue en cassation contre son arrêt du 7 juillet 1973.
Thèses* en présence de l’arrêt Jacques Vabre
📚 Méthodologie : *Nous avons choisi la formule « thèse en présence » pour pouvoir plus largement intégrer les arguments de la juridiction aux côtés de celle des parties. Vous connaissez probablement la formule « prétentions des parties » que nous trouvions réductrice, car « parties » n’inclut pas les juges du fond. |
💡 Petit point de vocabulaire juridique : l’administration des douanes développe six moyens. Vous devez comprendre qu’elle soutient six arguments à l’appui de son pourvoi. Certains sont divisés en plusieurs branches, c’est-à-dire « différents angles d’attaque ». Les moyens ne doivent pas être confondus avec les motifs. Ces derniers correspondent aux arguments de la juridiction alors que les premiers sont ceux des requérants.
L’administration des douanes développe un premier argument selon lequel la compétence pour l’espèce relevait du juge administratif.
En outre, en écartant la disposition de nature législative parce qu’elle était incompatible avec le Traité, les juges du fond auraient excédé leurs pouvoirs. De plus, l’autorité conférée aux traités par l’article 55 de la Constitution impose une condition de réciprocité (si un traité n’est pas appliqué par l’autre partie, une réserve quant à son autorité par rapport aux lois est émise). Or, la cour d’appel n’a pas vérifié si l’autre État partie satisfaisait à la condition de réciprocité.
⚠️ Les autres moyens (4 à 6) qui n’intéressent pas la portée de cette décision ne seront pas développés.
Question de droit de l’arrêt Jacques Vabre
Le problème de droit correspond à la question posée au juge. En l’espèce, l’administration des douanes soulevait notamment une question relative à la compétence du juge judiciaire en la matière et l’appréciation qu’elle a faite du Code des douanes.
Le Code des douanes pouvait-il être écarté en faveur des stipulations d’un Traité international contraire ?
Cette question de droit sous-entend évidemment celle de la compétence du juge et a fortiori celle du droit à réparation/compensation. Si la loi est écartée, il est naturellement fait droit aux demandes des requérants initiaux, à savoir, un remboursement du trop-perçu et une éventuelle indemnisation.
Solution de l’arrêt Jacques Vabre
La Cour de cassation a répondu par la positive et a rejeté le pourvoi. Tout d’abord, l’exception d’incompétence* soulevée en cassation ne l’a pas été devant les juges du fond. Elle est donc irrecevable.
❤️ Le saviez-vous ? 💡*L’exception d’incompétence est un moyen de défense en procédure civile (art. 73 s. CPC). Il s’agit d’une exception de procédure permettant d’invoquer l’incompétence de la juridiction saisie (art. 75 CPC). Dans l’arrêt Jacques Vabre, ce moyen a été écarté car il a été invoqué trop tardivement. En effet, un tel moyen doit être invoqué avant toute défense au fond et fin de non-recevoir (art. 74 CPC).
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Ensuite, le Traité du 25 mars 1957 a une autorité supérieure à celle des lois, même postérieure, conformément à l’article 55 de la Constitution. Il institue un ordre juridique propre, intégré à celui des États membres.
Ainsi, l’ordre juridique communautaire (Union européenne, actuellement) est applicable aux ressortissants des pays membres et s’impose à leurs juridictions. En conséquence, la cour d’appel a pu exclure l’application de la loi nationale postérieure au profit d’une stipulation du Traité de Rome.
Enfin, l’exception tirée du défaut de réciprocité n’est pas invocable devant les juridictions nationales, mais soumises au recours prévu par l’article 170 du Traité de Rome.
Présentation de l'arrêt Jacques Vabre
📚 Avant de résumer l’arrêt Jacques Vabre, nous avons fait le choix de lire minutieusement certaines données pour savoir ce dont il traite.
Pour une présentation suffisamment complète, il est important de définir le thème clé : le contrôle de conventionnalité. On ne sait jamais mieux à qui on a affaire qu’en contextualisant.
Définition du contrôle de conventionnalité
Le contrôle de conventionnalité permet au juge de vérifier la conformité d’une loi nationale à un texte international (traité, convention, pacte). L’intérêt d’un tel contrôle est d’assurer l’effectivité de la célèbre théorie de la hiérarchie des normes que vous étudiez dès la première année de Droit.
Théorisée par Kelsen, la hiérarchie des normes suppose que l’ordre juridique soit structuré de telle manière que chaque norme tire sa légitimité de la norme qui lui est supérieure.
Pour simplifier, en interne, la pyramide de Kelsen se compose ainsi :
→ Bloc de constitutionnalité (Constitution du 4 octobre 1958 et les textes auxquels renvoie son préambule) ;
→ Bloc de conventionnalité (traité, convention, pacte, internationaux) ;
📚 Méthodologie : On te renvoie à l’article 55 de la Constitution et à l’arrêt Costa contre Enel qui a affirmé la primauté du droit communautaire (droit de l’Union européenne aujourd’hui), sur les lois nationales postérieures. Il faut toujours faire des liens avec les connaissances, réflexe de juriste. |
→ Bloc de légalité (lois) ;
⚠️ On doit vous préciser qu’il y a parfois les ordonnances* (article 38 de la Constitution) qui entrent dans ce bloc. Tel est le cas lorsqu’elles sont ratifiées par le Parlement. À défaut de ratification, elles conservent une valeur réglementaire (donc, descendent d’un étage) si un projet de loi de ratification a été déposé dans le délai imparti. Sinon, elles sont caduques.
*À ne pas confondre avec les ordonnances juridictionnelles qui sont des décisions rendues par un juge unique.
→ Bloc réglementaire (décrets, arrêtés, etc.).
Vous voyez bien que la loi est placée sous le bloc de conventionnalité, ce qui signifie qu’elle doit lui être conforme pour être valide.
C’est tout l’intérêt d’un contrôle de conventionnalité : s’assurer que les lois respectent les textes internationaux. Sinon, en l’absence de surveillance, le législateur pourrait faire tout ce qui lui plaît sans jamais risquer pour son texte.
C’est ce qu’est venu affirmer la Cour de cassation en 1975 dans l’arrêt Jacques Vabre : le juge ordinaire peut réaliser un contrôle de conventionnalité et sanctionner, le cas échéant, une loi qui violerait un traité international. Le Conseil d’État a suivi quelque temps plus tard, dans sa décision Nicolo du 20 octobre 1989.
❤️ Le saviez-vous ? On ne peut pas poser ces bases sans évoquer les arrêts Fraisse de la Cour de cassation du 2 juin 2000 et Sarran du Conseil d’État du 30 octobre 1998 (il aime statuer en octobre sur ces questions, le CE !). Les hautes juridictions ont affirmé que dans l’ordre interne, la Constitution prime les traités et conventions internationaux. |
On a bien dit dans l’ordre interne. Ainsi, un traité ne pourra être ratifié que si, en présence d’une contradiction avec la Constitution, cette dernière est révisée. C’est ce dont il ressort de l’article 54 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Lecture analytique de l’arrêt Jacques Vabre
Par lecture analytique, vous devez comprendre et examiner au peigne fin l’arrêt Jacques Vabre. Avant de vous atteler aux attendus importants, commencez par trouver des indications dans l’en-tête de la décision.
L’en-tête de l’arrêt
Par en-tête de l’arrêt, on entend les informations suivantes, qui sont capitales, pour vous, jeunes chercheurs en herbe :
Cour de Cassation, Chambre MIXTE, du 24 mai 1975, 73-13.556, Publié au bulletinN° de pourvoi : 73-13.556Publié au bulletinSolution : REJET |
Cour de Cassation → la décision est rendue par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français. Les parties en cause seront donc, en principe, des personnes privées.
Chambre mixte → un arrêt est rendu en chambre mixte lorsque l’affaire relève de la compétence de plusieurs chambres*.
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Vous pouvez comprendre qu’elle a soulevé une complexité particulière. Vous savez, comme le droit des difficultés des entreprises qui imposent de solides connaissances en droit commercial, en droit des sociétés, des contrats et des sûretés. Rien que ça !
❤️ Le saviez-vous ? Chaque chambre de la Cour de cassation dispose de spécialités. Par exemple, la première chambre civile tranche les litiges en matière de droit des personnes et de la famille ou encore de propriété mobilière. Quant à la chambre commerciale, elle statue en matière de banque, concurrence ou encore fonds de commerce. |
Du 24 mai 1975 → la date permet d’établir le contexte juridique dans lequel s’inscrit l’arrêt. On y reviendra, mais cet arrêt fait suite à la décision « IVG » du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975.
Publié au bulletin → l’arrêt est publié au bulletin de la Cour de cassation. La décision peut être un arrêt d’une importance particulière comme un arrêt de principe ou encore d’un revirement. Néanmoins, ce sont des indices, rien d’avéré à ce stade des investigations.
N° de pourvoi : 73-13.556 → il permet de retrouver facilement la décision. La Cour de cassation ne rend pas une seule décision le même jour. 🍊
🍊Petit tips : dans vos copies, pour éviter de répéter 28 fois « Cour de cassation », vous pouvez utiliser « les juges du Quai de l’horloge » comme synonyme. Il s’agit du siège de la Cour situé à Paris (art. R. 411-1 du Code de l’organisation judiciaire).
Solution : rejet → la Cour a rejeté les prétentions du (ou des) requérant(s) au pourvoi. Dès lors, vous savez qu’il s’agit d’un arrêt de rejet, dont la structure diffère légèrement des arrêts de cassation.
Il ne commence pas par un chapeau suivi d’un visa. L’arrêt de rejet selon l’ancienne rédaction* commence par les faits et la procédure. Ils sont suivis par les arguments de la cour d’appel (motifs) et des parties (moyens). Il s’achève par la solution et le dispositif de la haute juridiction.
❤️ Le saviez-vous ? Depuis 2019, les arrêts de la Cour de cassation sont rédigés en style direct dans un dessein de favoriser l’accessibilité et l’intelligibilité des décisions de justice. |
Les attendus importants de l’arrêt
Vous êtes au fait, l’arrêt Jacques Vabre est un arrêt de rejet. Allez donc simplement lire la fin de la décision pour y trouver la solution posée par la juridiction de cassation. L’objectif est simplement d’avoir une idée de ce dont a traité la Cour.
Dans cet arrêt, vous avez différents moyens. Il y a donc différents attendus qui fixent la solution de la Cour. La portée qui nous intéresse est relative au contrôle de conventionnalité. Nous étudierons donc uniquement le deuxième moyen :
« MAIS ATTENDU QUE LE TRAITÉ DU 25 MARS 1957, QUI, EN VERTU DE L’ARTICLE SUSVISÉ DE LA CONSTITUTION, A UNE AUTORITÉ SUPÉRIEURE À CELLE DES LOIS, INSTITUE UN ORDRE JURIDIQUE PROPRE INTÉGRÉ À CELUI DES ÉTATS MEMBRES ; QU’EN RAISON DE CETTE SPÉCIFICITÉ, L’ORDRE JURIDIQUE QU’IL A CRÉE, EST DIRECTEMENT APPLICABLE AUX RESSORTISSANTS DE CES ÉTATS ET S’IMPOSE À LEURS JURIDICTIONS ; QUE, DÈS LORS, C’EST À BON DROIT, ET SANS EXCÉDER SES POUVOIRS, QUE LA COUR D’APPEL A DÉCIDÉ QUE L’ARTICLE 95 DU TRAITÉ DEVAIT ÊTRE APPLIQUÉ EN L’ESPÈCE, À L’EXCLUSION DE L’ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES, BIEN QUE CE DERNIER TEXTE FUT POSTÉRIEUR; D’OÙ IL SUIT QUE LE MOYEN EST MAL FONDÉ »
De cet attendu, vous devez relever :
Traité du 25 mars 1957 → vous devez lire « Traité de Rome instituant les Communautés économiques européennes. Un traité fondateur ». Vous devez comprendre que la décision implique un texte à dimension internationale.
📚 Méthodologie : Quand on fait du droit, et a fortiori quand on corrige des copies, on ne lit pas, on infère. Soyez donc très minutieux dans l’emploi du vocabulaire. Vous écrivez « jugement », le correcteur lit « décision rendue par une juridiction de première instance qui n’est pas une cour ». Les termes et expressions ont un sens, ne les utilisez pas à mauvais escient. La rigueur est la clé de la réussite. |
A une autorité supérieure à celle des lois → vous lisez/comprenez ici, hiérarchie des normes, conflits entre loi nationale et traité international.
Institue un ordre juridique propre intégré à celui des États membres → vous voyez Costa c. Enel.
Est directement applicable aux ressortissants et s’impose à leurs juridictions → vous lisez effet direct du droit communautaire (on parlerait aujourd’hui de « droit de l’Union européenne »).
Dès lors c’est à bon droit (...) que la cour d’appel a décidé que l’article 95 du Traité devait être appliqué (...) à l’exclusion de l’article 256 du Code des douanes (...) postérieur → « le Traité prime la loi postérieure et le juge est compétent pour l’apprécier. Il peut opérer un contrôle de conventionnalité », voilà ce qu’il faut lire et retenir ici.
C’est tout l’intérêt de cette décision. Rien qu’à l’analyse structurée de ces données, vous savez déjà quel thème traite la décision et ce qu’elle apporte. Fabuleux, n’est-ce pas ?
Contextualisation de l’arrêt Jacques Vabre
L’arrêt Jacques Vabre a été rendu peu de temps après la décision « IVG » du Conseil constitutionnel.
Par cette décision 74-54 DC du 15 janvier 1975 l’institution a précisé son office : il ne lui appartient pas d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international (cons. 7).
Cette position va dans le sens du texte constitutionnel : le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois à la Constitution (art. 61 de ce texte).
Pour autant, dans la hiérarchie des normes, la loi est inférieure aux textes internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés (art. 55 de la Constitution). Mais, cette disposition resterait sans effet si personne n’était chargé d’en surveiller la conformité.
C’est pourquoi la Cour de cassation a pris les devants en opérant un contrôle de conventionnalité dans l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975.
Résumé de l’arrêt Jacques Vabre
Une société française (Café Jacques Vabre) a importé du café soluble depuis les Pays-Bas, autre État membre des Communautés européennes (qu’on appelle de nos jours « Union européenne »).
L’importation a été frappée par des droits de douane en vertu d’une loi nationale (article 256 du Code des douanes). Le montant dû était, en définitive, plus élevé que ce que le Traité du 25 mars 1957 prévoyait. De ce fait, la société importatrice et celle chargée du dédouanement ont assigné l’administration des douanes en vue d’obtenir un remboursement du trop-perçu et une indemnisation.
La demande a été accueillie, ce qu’a contesté en cassation l’administration des douanes aux moyens, notamment que, le juge judiciaire était incompétent pour statuer en la matière et avait excédé sa compétence en écartant l’article 256 du Code des douanes au profit de l’article 95 du Traité de Rome.
La Cour de cassation a pourtant suivi le raisonnement de la Cour d’appel de Paris. Elle a rappelé la solution de principe posée par l’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964 selon laquelle le Traité de Rome aurait institué un ordre juridique propre intégré à celui des États membres. Pour cette raison, il s’applique à leurs ressortissants et s’impose à leurs juridictions. De surcroît, comme en dispose l’article 55 de la Constitution, les normes internationales priment les lois nationales, même postérieures. Ainsi, la juge avait la possibilité d’écarter la disposition du Code des douanes contraire au Traité de Rome.
Analyse de l'arrêt Jacques Vabre
Expliquer et analyser un arrêt permet d’en établir la portée. Pour y parvenir, il est important de situer la problématique soulevée par la position du juge.
Problématique de l’arrêt Jacques Vabre
📚 Au-delà du problème (ou de la question) de droit posée au juge, vous devez dégager la problématique pour commenter une décision. Elle permet d’inscrire plus largement l’arrêt dans vos connaissances.
⚠️ Attention ! Il ne s’agit pas de dégager une problématique à partir des connaissances, mais bien de la décision à commenter.
Dans l’arrêt Jacques Vabre, la question se posait de savoir si le juge judiciaire avait compétence pour exclure l’application d’une loi nationale postérieure, mais contradictoire à un traité international.
Explication de l’arrêt Jacques Vabre
Le juge a écarté l’application de la loi nationale (article 256 du Code des douanes), car contraire au Traité CEE.
Il a pu aboutir à une telle solution en se fondant sur l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958. Ce dernier dispose que les normes juridiques internationales régulièrement approuvées ou ratifiées priment la loi, même postérieure. En outre, la Cour rappelle, comme l’avait déjà indiqué le juge européen dans la décision Costa contre Enel, que le Traité de Rome a institué un ordre juridique propre intégré à celui des États membres.
Ainsi, que la loi soit postérieure à un traité international ne lui assure aucune immunité : si elle n’y est pas conforme, elle peut être valablement écartée.
Pourquoi la question se pose-t-elle ? Si le législateur, postérieurement à la ratification d’un texte normatif international, prend une loi contradictoire, cela pourrait signifier qu’il ne tient plus à appliquer le traité. Or, la Cour de cassation vient confirmer que peu importe le caractère ultérieur de la loi, si elle n’est pas conforme au traité, elle doit être écartée.
Cette décision s’assure de l’effectivité de la théorie de la hiérarchie des normes, en permettant un contrôle de conventionnalité.
Portée de l’arrêt Jacques Vabre
La portée de l’arrêt Jacques Vabre impose de s’intéresser à la primauté des normes conventionnelles dans l’ordre interne.
Revenons sur quelques éléments de contexte pour mieux saisir l’apport de cette décision. Les juges du Quai de l’horloge ont repris une solution posée antérieurement par la CJCE, lui assurant une véritable portée en interne. La solution de l’affaire 6-64 Costa contre Enel trouve une pleine effectivité dans l’ordre interne. Plus largement, la solution de la Cour de cassation comble un vide juridictionnel laissé par le Conseil constitutionnel le 15 janvier 1975 (décision N° 74-54 DC, « IVG »).
Plus généralement, en affirmant la suprématie des traités, la Cour de cassation rompt avec le culte du légicentrisme, - rupture marquée dès les débuts de la Ve République* -, selon lequel la loi ne peut pas mal faire. La décision Jacques Vabre permet au juge judiciaire d’écarter une loi qui ne serait pas conforme à une norme conventionnelle de rang supérieur, y compris si la loi est postérieure.
*Pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles se trouve notamment l’instauration d’un Conseil constitutionnel chargé d’en contrôler la conformité à la norme suprême.
Cette position marque, a fortiori, une rupture avec la « doctrine Matter » du nom de Paul Matter, procureur général, qui dans ses conclusions relatives à l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 22 décembre 1931 avait formulé l’idée selon laquelle une loi postérieure à un traité devait primer ce dernier si le juge ne parvenait pas à les concilier.
En effet, en adoptant un texte contradictoire, le législateur aurait voulu déroger au traité. Seules les lois antérieures contraires à un traité pouvaient être abrogées (V. Cass. crim., 7 janvier 1972, n°71-90.217, Guerrini).
La Cour de cassation a ouvert la voie au contrôle de conventionnalité des juges ordinaires, suivie, quelque temps plus tard par le Conseil d’État. Dans son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, la plus haute juridiction de l’ordre administratif a confirmé que le juge administratif peut opérer un contrôle de conventionnalité. Le vide juridique est colmaté par les juges des deux ordres qui veillent à l’application des traités internationaux, comme le suggère le Conseil constitutionnel (Cons. const. décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, cons. 6).
Comment mémoriser l'arrêt Jacques Vabre ?
Pour les travaux dirigés ou en préparation des examens, il est essentiel d’apprendre par cœur (tout en la comprenant, bien sûr) l’arrêt Jacques Vabre et notamment sa portée juridique.
Pour faciliter cette mémorisation, une technique que la Team Pamplemousse a importé dans le monde du droit consiste à utiliser l'association mentale imagée. Cette technique est notamment présente dans les Flashcards imagées Pamplemousse, les Fiches de révisions optimisées et le FIGADA.
Pour utiliser cette technique de mémorisation, il faut simplement créer une histoire originale et farfelue autour des informations que vous souhaitez retenir (ici la portée de la décision de la Cour de cassation).
Rappel de la portée juridique de l’arrêt Jacques Vabre : la décision Jacques Vabre permet au juge judiciaire d’écarter une loi qui ne serait pas conforme à une norme conventionnelle de rang supérieur, y compris si la loi est postérieure.
Concernant l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975, on peut par exemple imaginer un camion en forme de boîte de café Jacques Vabre traversant les frontières venant des Pays-Bas et allant en France (ça, ce sont les faits). Mais voilà qu’en arrivant en France, le camion se prend une énorme barrière de péage sur la tronche lui cassant 75 % du pare-brise (1975). STOP, il faut payer des frais de douanes.
Au bout de la barrière de péage se trouve un énorme Code des douanes.
Heureusement, dans la cabane du péage se trouve un juge de la Cour de cassation, portant une casquette bleu autour de laquelle volent de façon circulaire les étoiles du drapeau de l’Union européenne (il est pro-Union-européenne et fait respecter la règlementation européenne). Il s’active à remonter à la main la barrière (imageant les droits de douanes français) : le juge judiciaire peut donc écarter une loi qui ne serait pas conforme à une norme conventionnelle de rang supérieur, y compris si la loi est postérieure.
Voilà, vous avez mémorisé l’arrêt Jacques Vabre !
Article rédigé par une enseignante en Droit constitutionnel
(attachée temporaire d'enseignement et de recherche)
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