L’arrêt Costa contre Enel, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) le 15 juillet 1964, est un arrêt important qui a affirmé la primauté du droit communautaire sur le droit national. Contexte, faits, procédure, prétentions, question de droit, portée juridique, on vous dit tout dans cette véritable fiche d’arrêt enrichie.
Sommaire :
📚 Présentation de l’arrêt Costa contre Enel
🤓 Analyse de l'arrêt Costa contre Enel
L’arrêt Costa contre Enel, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) le 15 juillet 1964, est un arrêt important qui a affirmé la primauté du droit de communautaire sur le droit national.
C’est un arrêt qui est très largement étudié en droit. Vous le croiserez peut-être déjà en L2, probablement en L3 et par la suite si vous avez des matières qui s’intéressent à ce qui était autrefois appelé « droit communautaire ».
Dès maintenant, vous devez comprendre la portée de cette décision importante en droit de l’Union européenne.
Fiche d'arrêt
📃 Pour bien comprendre la décision rendue par la CJCE le 15 juillet 1964, il est nécessaire de réaliser la fiche d’arrêt. Elle permet d’établir les faits, la procédure, les prétentions des parties, le problème de droit soulevé devant la Cour et la solution donnée. Un tour d’horizon complet de l’affaire, en somme !
Faits de l’arrêt Costa contre Enel
Les faits de l’espèce concernent la nationalisation de la production et la distribution d’électricité en Italie, aux termes d’une loi n° 1643 du 6 décembre 1962, suivie par plusieurs décrets.
Le Gouvernement de la République italienne a créé l’entreprise ENEL, une entreprise publique, à laquelle le patrimoine des entreprises d’électricité a été transféré. Cette décision a eu pour effet d’affecter les droits des consommateurs et d’actionnaires, dont faisait partie le requérant (M. Costa). Le requérant a contesté cette nationalisation devant les tribunaux italiens, arguant que celle-ci était contraire à la Constitution italienne.
Dans l’affaire 6-64, le Giudice Conciliatore de Milan a formulé une demande de décision préjudicielle, se fondant sur l’article 177 du TCEE. La juridiction souhaitait obtenir l’interprétation des articles 37, 53, 93 et 102 du Traité du 25 mars 1957 qui seraient violés par la loi de nationalisation.
📚 Méthodologie : On avoue qu’on déborde déjà légèrement sur la procédure, mais, dans votre copie, vous n’êtes pas supposé indiquer les sous-parties de votre fiche d’arrêt, on y verra que du feu 🤓 ! En revanche, pensez à bien aérer votre copie et donc à faire apparaître ces éléments sous forme de paragraphe. |
Procédure aboutissant à la décision Costa contre Enel
L’affaire a été portée devant une juridiction italienne de Milan, qui sursoit à statuer en attendant la réponse à la question préjudicielle soumise au juge européen par une ordonnance du 16 janvier 1964.
La CJCE a été saisie de la question préjudicielle enregistrée au greffe le 20 février 1964. Le requérant demandait notamment l’interprétation des articles 102, 93, 53 et 37 du TCEE.
Thèses en présence de l'arrêt* Costa contre Enel
*Nous avons fait le choix de cette formule pour pouvoir plus largement intégrer les arguments de la juridiction aux côtés de celle des parties. Vous connaissez probablement la formule « prétentions des parties » que nous trouvions réductrice, car « parties » n’inclut pas les juges du fond.
💡 Méthodologie : Les prétentions des parties - autrement appelées « arguments » -, sont relativement diverses étant donné le nombre de stipulations à interpréter. |
Dans cette espèce, le Gouvernement italien avait conclu à l’irrecevabilité absolue de la question préjudicielle. Il fait grief au Guidice Conciliatore de ne pas s’être limité à demander au juge européen l’interprétation du Traité, mais d’avoir sollicité la vérification de la conformité de la loi de nationalisation aux stipulations conventionnelles.
En effet, le Gouvernement indique qu'une juridiction nationale ne peut recourir à la procédure de l’article 177 du TCEE pour trancher un litige qui concerne l’application d’une loi nationale. Il ajoute que la seule procédure possible serait celle des articles 169 et 170. L’entreprise publique a également soutenu le mal fondé des questions soulevées.
A contrario, le requérant défend que le traité subordonne la compétence de la Cour à la seule existence d'une demande d’interprétation, ce qui fut le cas en l’espèce.
📚 Méthodologie : Le reste des prétentions porte sur l’interprétation des différents articles du Traité. On vous renvoie à la décision si vous avez besoin de développer davantage. |
Question de droit de l’arrêt Costa contre Enel
Il s’agissait de répondre à la question de droit suivante : la loi de nationalisation du 6 décembre 1962 viole-t-elle plusieurs dispositions du TCEE ?
💡 Méthodologie : Ne confondez pas la question de droit : celle posée à la juridiction ; et la problématique : celle qui répond à une approche théorique plus large en partant de la question posée à l'origine. Vous inscrivez la question de droit posée au juge dans vos connaissances pour la traiter et apporter une analyse à la décision soumise à votre étude. |
La problématique en l’espèce amène à s’interroger sur la valeur du Traité par rapport à la loi nationale postérieure.
Le Traité prime-t-il une loi nationale postérieure des États membres ?
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Solution de l’arrêt Costa contre Enel
Dans la décision Costa contre Enel, la solution du juge européen permet d’établir la primauté du Traité sur les lois nationales postérieures.
Il rappelle d’abord que sur le fondement de l’article 177 du Traité, il n’est pas compétent pour juger de la conformité d’une loi à un Traité (ce qu’on appelle un contrôle de « conventionnalité »*).
Il était recevable à statuer en l’espèce, car la question posée supposait l’interprétation de plusieurs stipulations. Mais son contrôle doit s’y limiter.
*Vous devez rapprocher cet arrêt des décisions Nicolo du 20 octobre 1984 et Jacques Vabre du 24 mai 1975. Les juridictions de cassation de l’ordre juridique français se sont affirmées compétentes pour réaliser un contrôle de conventionnalité des lois. Elles peuvent vérifier si une loi est conforme à un traité international. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, s’est déclaré incompétent en la matière (Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi contre l’interruption volontaire de grossesse [dite décision « IVG »]).
Ensuite, il a pris soin de préciser que le droit communautaire (droit de l’Union européenne) prime la loi nationale postérieure en cas de conflits entre les deux. En effet, d’après la Cour européenne, à la différence des traités internationaux ordinaires, le TCEE a « institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres ».
Ce dernier ordre s'impose à leurs juridictions. S’ensuit une intégration de l’ordre juridique de la Communauté au droit de chaque pays membre qui a pour corollaire « l'impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable ».
En d’autres termes, une mesure nationale postérieure au Traité ne lui est pas opposable. La Cour ajoute que si les obligations contractées par les États signataires pouvaient être remises en cause par des lois ultérieures, les obligations deviendraient éventuelles.
Le droit communautaire est « prééminent » comme le confirme l’article 189 du TCEE selon lequel les règlements ont valeur
« obligatoire » et sont « directement applicables dans tout État membre ». La Cour de justice établit un lien avec l’effet direct* du droit communautaire.
*L’effet direct signifie qu’une norme de droit communautaire (de l’Union européenne) crée des droits ou obligations pour les particuliers. On vous renvoie à la jurisprudence Van Gend en Loos du 5 février 1963, affaire C-26-62.
On parle d’invocabilité directe lorsque la norme peut être invoquée directement par un particulier devant une juridiction nationale qui protégera les droits qu’elle établit.
Pour finir, le juge européen conclut que le droit né du TCEE, en raison de sa nature originale, ne peut se voir judiciairement opposer un texte interne contraire, incompatible avec l’esprit même de la Communauté.
💡 La Cour de justice a ensuite procédé à l’interprétation des différentes stipulations soumises à son étude. Comme pour les prétentions, on ne détaille pas ces éléments qui n’intéressent pas la portée de la décision.
Présentation de l'arrêt Costa contre Enel
📚 Pour bien comprendre et commenter une décision, nous allons réaliser ensemble une lecture analytique pour trouver les premiers indices qui vous guideront. On vous propose également de définir le terme clé de l’affaire.
Eh oui, comment pouvez-vous étudier un arrêt dont vous n’as pas saisi l’essence ? D’ailleurs, on vous propose de résumer l’arrêt Costa contre Enel pour que vous en ayez un aperçu général avant qu’on aille plus loin dans le détail.
Définition de la primauté du droit communautaire
La primauté du droit communautaire signifie que le droit européen prévaut sur le droit national des États membres. L’objectif serait de garantir l'application cohérente et uniforme des règles européennes dans tous les pays de l'Union*.
💡 Le saviez-vous ? *Depuis le Brexit de 2020 les États membres sont au nombre de 27 : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Tchéquie (République tchèque), Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Suède. |
La primauté du droit communautaire a été mise en avant par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964.
Elle signifie que si une loi nationale est en contradiction avec le droit des Communautés européennes (aujourd’hui, droit de l’Union européenne), ce dernier prime la première.
📚 Méthodologie : Pourquoi vous a-t-on donné cette définition ? Car, quel que soit l’exercice juridique, la méthodologie impose d’avoir des connaissances approfondies sur le thème. En d’autres termes, vous ne pouvez ni faire une fiche d’arrêt ni un commentaire sans maîtriser le fond. À vous d’avoir le réflexe de bien relire vos cours avant de vous lancer dans la préparation ! |
Vous devez penser aux arrêts Sarran, Levacher et autres du 30 octobre 1998 et Fraisse du 2 juin 2000 (2), mais aussi au concept de la hiérarchie des normes (1) (ou pyramide de Kelsen, mais ne faites plus jamais un mélange du type de pyramide des normes !).
1. Selon Hans Kelsen, l’ordre juridique est un système hiérarchisé dans lequel la norme inférieure tire sa validité de la norme supérieure. Elle doit y être conforme (H. Kelsen, Théorie pure du droit, traduit par C. Eisenmann, LGDJ, Paris, Bruylant, Belgique, 1999).
Si on fait le lien avec la primauté du droit de l’Union européenne, cela signifie qu’il est au-dessus des lois nationales. Ces dernières sont valables si conformes à ce droit.
2. Quant aux arrêts Sarran et Fraisse, les juridictions suprêmes ont affirmé la primauté de la Constitution dans l’ordre interne.
La norme suprême prime le droit international en interne uniquement. Ainsi, qu’il s’agisse du droit de l’Union européenne ou d’autres textes à dimension nationale, la Constitution prévaut.
⚠️ Si elle est contraire à un traité, ce dernier pourra être ratifié, mais il faudra réviser la Constitution (art. 54 de la Constitution). Pas de révision, pas de ratification !
📚 Méthodologie : Vous voyez, quand on vous dit qu’il faut bien maîtriser le fond : la forme ne sert à rien sans contenu. La méthodologie juridique n’est pas un ornement. C’est un contenant. À quoi bon offrir une bonbonnière sans bonbons ? Tout le monde préfère les seconds à la première. À choisir, offrez les bonbons. Votre chargé de TD, c’est la même chose : il préfère un fond (de qualité) à un devoir structuré, mais vide de savoirs. Mais, si vous lui offrez la bonbonnière et les bonbons, là, c’est formidable (pour votre note) ! |
Lecture analytique de l’arrêt Costa contre Enel
La lecture analytique permet d’analyser la décision de manière globale et organisée. Que devez-vous examiner ?
L’en-tête de l’arrêt
Déjà, ce qu’on qualifie, chez Pamplemousse, l’en-tête de la décision :
« arrêt de la Cour du 15 juillet 1964. - Flaminio Costa contre E.N.E.L. - Demande de décision préjudicielle : Giudice conciliatore di Milano - Italie. - Affaire 6/64 »
Classons ces informations dans un tableau.
Maintenant, on va te donner quelques éléments supplémentaires pour que tu comprennes l’intérêt de cette lecture analytique.
I. L’identification de la décision
En l’espèce, l’arrêt a été rendu par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE*). Lorsque vous voyez cela, vous comprenez déjà qu’il s’agit d’une décision qui concerne le droit communautaire (qu’on appelle aujourd’hui « droit de l’Union européenne »).
💡 Le saviez-vous ? *Pourquoi parfois écrit-on « CJCE » et d’autres fois « CJUE » ? Le dernier sigle fait suite au Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007. Cet acte modificatif a amendé le Traité de Maastricht devenu « TUE » et le « TCE » devenu « TFUE » au sein duquel il a remplacé toutes les mentions « Communauté » par « Union ». Ainsi, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (1er décembre 2009), on ne parle plus de « Cour de Justice des Communautés européennes », mais de « Cour de Justice de l’Union européenne ». Ne mélangez plus les deux acronymes 🤓. |
La procédure est une question préjudicielle en interprétation (comme le suppose l’article 177 du TCEE). Il s’agit de soumettre une question à la CJCE pour pouvoir trancher le litige au fond en interne. En attendant d'obtenir la réponse, le juge national sursoit à statuer, c’est-à-dire qu’il renvoie l’affaire à plus tard.
L’arrêt Costa contre Enel a été rendu le 15 juillet 1964.
Pourquoi noter la date est important ?
Parce qu’il y a toujours un contexte avant et après une décision. Que se passait-il pendant les années qui l’ont précédée ? Que s’est-il passé après ? Y a-t-il eu une réforme ? Un nouveau traité ? Un grand contentieux ? Vous devez d’emblée vous poser toutes ces questions.
En l’espèce, ce que vous pouvez relever, c’est que cette décision a été rendue moins de 10 ans après l’adoption du Traité de Rome, dont plusieurs stipulations sont en cause. La décision se situe donc à l’aube de la construction du droit communautaire. Indice intéressant ! On revient plus tard pour le contexte.
II. L’identification des intervenants/parties
Cela vous aidera à savoir qui veut quoi et surtout à qualifier les parties lorsque vous réalisez votre fiche d’arrêt.
Le plus important est d’identifier le ou les rapporteurs*, car vous pouvez trouver leur rapport et avoir ainsi une autre approche de l’affaire.
💡 Le saviez-vous ? *Le rapporteur est un juge chargé de suivre le déroulement de l’affaire. Il peut notamment proposer une instruction si l’affaire le nécessite (lorsqu’elle est complexe, l’instruction permet de recueillir toutes les informations pour qu’elle soit en état d’être jugée). Il va établir un projet d’arrêt - le rapport - qu’il va présenter lors de la phase orale de la procédure (art. 20, Titre III, Protocole n°3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne). C’est sur cette base que les autres magistrats vont statuer. |
💡 La Cour de justice de l’Union européenne est composée de 27 juges : 1 par État membre (art. 19, Titre III, TUE).
III. Les visas