[FICHE D'ARRÊT ENRICHIE] Arrêt Benjamin (1933) : résumé, problématique, portée
- Pamplemousse
- 6 août
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours
L'arrêt Benjamin, rendu par le Conseil d'État le 19 mai 1933, est important en droit administratif, car il a consacré le principe selon lequel une mesure de police administrative doit être proportionnée à l’impératif de préservation de l’ordre public qu’elle poursuit. Faits, procédure, prétentions, question de droit, portée juridique… Découvrez la fiche d’arrêt enrichie de l’affaire Benjamin !
Sommaire :
📃 I. Fiche d’arrêt
📚 II. L’arrêt Benjamin : explications
Problématique
Quelle est la portée de l’arrêt Benjamin ?
C’est quoi le contrôle de proportionnalité ?
🤓 III. Résumé de l’arrêt Benjamin
📜 IV. Questions diverses autour de l’arrêt Benjamin
C’est quoi l’ordre public ?
Quel est le triple test de proportionnalité ?
Fiche d’arrêt
Voici une « fiche d’arrêt » simple pour l’arrêt* Benjamin du 19 mai 1933 : faits, procédure, prétention des parties, question de droit et solution vous sont proposés.
*Nous utiliserons l’expression « arrêt » tout au long de ce contenu, bien qu’il faille garder à l’esprit qu’un Conseil (comme le Conseil d’État rend, en réalité, ce qu’on appelle des « décisions »).
Faits de l'arrêt Benjamin
Le maire de Nevers a interdit par deux arrêtés en date du 24 février et 11 mars 1930 le déroulement d’une conférence littéraire.
Procédure de l'arrêt Benjamin
Plusieurs requêtes ont été déposées au Conseil d’État afin que les arrêtés du maire soient annulés dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir. L’une a été déposée par un administré, homme de lettre, qui devait se produire lors de cette conférence ; l’autre par une société. Dès lors, le Conseil d’État a joint les requêtes qui portaient sur la même question, à savoir faire lever l’annulation de la tenue des deux conférences littéraires.
Prétentions des parties
Le maire, pour adopter ses arrêtés d’interdiction, a notamment indiqué que la venue de l’homme de lettre était de nature à engendrer des troubles à l’ordre public.
Question de droit de l'arrêt Benjamin
La simple éventualité de troubles à l’ordre public suffit-elle à interdire la tenue d’un événement public ?
Solution de l'arrêt Benjamin
Le Conseil d’État répond par la négative et annule les arrêtés litigieux. Si le maire est bien l’autorité compétente pour adopter des mesures pour préserver l’ordre public, il doit concilier ces pouvoirs avec la liberté de réunion garantie par la loi du 30 juin 1881. Or, l’éventualité de troubles ne présentait pas un degré de gravité si important qu’il n’était possible de préserver l'ordre public qu’en interdisant totalement l’événement concerné. Le juge administratif conclut que les arrêtés litigieux étaient entachés d’excès de pouvoir.
Cette décision a consacré le principe selon lequel une mesure de police administrative doit être proportionnée à l’impératif de préservation de l’ordre public qu’elle poursuit. C’est par cette décision que le contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative a été mis en avant.
Cela signifie que si une mesure moins restrictive peut être adoptée, alors l’autorité qui adopte la mesure doit la prendre, au risque de voir sa décision annulée pour excès de pouvoir, comme dans la jurisprudence Benjamin.
L’arrêt Benjamin : explications
Pour bien saisir l’arrêt Benjamin, nous vous proposons quelques explications contextuelles, une problématique, sa portée et un point relatif au contrôle de proportionnalité qui a été précisé par la suite.
Contexte de l'arrêt Benjamin
Lorsque l’on évoque contexte, on parle d’un contexte juridique, celui dans lequel nous inscrivons la décision (pas le contexte dans lequel s’est déroulée l’affaire, ces histoires de troubles potentiels à l’ordre public eu égard à la venue du Sieur Benjamin, nous n’étions pas là, il nous serait difficile de vous dire ce qu’il s’est réellement passé).
Cette décision s’inscrit dans le cadre du cours de droit administratif qui évoque la police administrative et s’intéresse à la liberté de réunion de la loi du 30 juin 1881.
La police administrative
Il s’agit d’un arrêt important qui vient encadrer l’exercice des mesures de police administrative : si l’autorité de police administrative générale a compétence pour agir dès lors qu’il s’agit de préserver l’ordre public (on y vient plus tard), elle ne peut le faire qu’en respectant une proportionnalité entre le motif poursuivi (préserver l’ordre public) et l’intensité de la mesure prise (si une mesure moins attentatoire pouvait être prise, alors elle devait être prise, il n’y a pas d’option).
La liberté de réunion
La liberté de réunion a été proclamée par la loi du 30 juillet 1881 et réaffirmée par la loi du 28 mars 1907 : les réunions publiques se tiennent librement* sans avoir à être préalablement déclarées.
*En revanche, elles ne peuvent pas se dérouler sur la voie publique ni se prolonger au-delà de onze heures le soir ou de l’heure à laquelle ferme l’établissement où elles se tiennent (art. 6 de la loi du 30 juillet 1881).
Vous l’avez compris, chacun est libre de se réunir MAIS, comme pour tout droit et libertés* il peut y avoir des limites. Ces événements ne doivent pas troubler l’ordre public, sinon, ils peuvent être restreints voire interdits : le choix de la mesure va dépendre des possibilités offertes aux autorités de police. Elles devront prendre la mesure la moins attentatoire à la liberté compte tenu de la gravité du trouble (c’est tout l’intérêt de l’arrêt Benjamin).
*Seule l’interdiction des traitements inhumains et dégradants n'autorise aucune dérogation (art. 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales).
La conciliation entre liberté de réunion et protection de l’ordre public
Le maire, en tant qu’autorité de police administrative, a pour devoir de préserver l’ordre public (anciennement, cette obligation était fondée sur la loi municipale de 1884, à son article 97 devenu l’article 2212-2 du Code général des collectivités territoriales).
C’est seulement si l’autorité de police municipale ne dispose d’aucun moyen autre que l’interdiction, pour prévenir un trouble à l’ordre public, qu’elle pourra interdire la tenue d’une réunion.
C’est ce qui ressort de l’arrêt Benjamin : il faut concilier liberté de réunion et ordre public en s’assurant que la mesure retenue soit proportionnée.
💡 Bon à savoir : dans le cas présent, le maire aurait pu faire appel aux forces de l’ordre pour encadrer la réunion et éviter les désordres prévus. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a annulé les arrêtés : car le maire aurait pu prendre une mesure moins sévère. D’ailleurs, dans une décision Syndicat d’initiative de Nevers et Benjamin de 1936, le Conseil d’État a considéré que le maire avait commis une faute lourde, ce qui a permis d’engager la responsabilité de la commune. |
Problématique de l'arrêt Benjamin
La problématique de l’arrêt Benjamin est la suivante : l’autorité de police administrative était-elle tenue d’adopter des mesures proportionnées ?
⚠️ Attention : il ne faut pas mélanger problème de droit (question soulevée devant le juge à l’appui de laquelle viennent les moyens des requérants) avec la problématique. Cette dernière renvoie à une question théorique qui met en perspective un problème juridique que vous tirez de vos connaissances pour analyser le raisonnement du juge. C’est la problématique qui permet de faire un commentaire d’arrêt. |
Quelle est la portée de l’arrêt Benjamin ?
La portée de l’arrêt Benjamin s’inscrit bien au-delà du thème qu’était la liberté de réunion. Si le juge administratif met en évidence la grande protection dont profite la liberté de réunion, sont davantage mises en avant les modalités d’exercice des pouvoirs de police administrative imposant à l’autorité compétente de s’assurer de la proportionnalité de ses mesures.
La liberté de réunion
Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement, Michel, a mis en évidence la différence entre association, manifestation et réunion. Cette dernière est un groupement momentané de personnes qui partage une opinion (...).
À cette époque, la liberté de réunion était bien protégée (loi du 30 juin 1881) : une simple déclaration suffisait pour l’exercer. On vous renvoie au développement ci-dessus.
La proportionnalité de la mesure
Plus que jamais, le juge administratif met en évidence que « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception » comme l’avait écrit le commissaire du Gouvernement Corneille dans ses conclusions relatives à l’arrêt Baldy en 1917.
D’abord, le juge contrôle la gravité des motifs qui justifient la restriction avant de vérifier la proportionnalité au regard des troubles invoqués.
Cette décision a ouvert la voie à l’exercice d’un contrôle de proportionnalité par le juge administratif. De nombreuses décisions ont appliqué ce principe selon lequel une mesure de police administrative doit être proportionnée à l’objectif poursuivi (CE, 23 janvier 1953, Naud ; CE, 19 juin 1953, Houphouet Boigny ; CE, 29 décembre 1997, Maugendre).
C’est par la suite qu’a été explicité le « triple test » de proportionnalité (CE, 26 décembre 2011, Association pour la promotion de l’image et autres) : les mesures doivent être adaptées par leur nature et leur gravité à l’importance de la menace, nécessaires et proportionnées (v. par exemple, CE, 26 avril 1968, Morel et Rivière).
Il y a également eu différentes décisions rendues pour vérifier la proportionnalité de mesures adoptées par exemple :
La réglementation de la fouille de poubelle a été validée (CE, 15 novembre 2017, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen) ;
L’arrêté du maire interdisant le port du Burkini a été jugé illégal car il n’y avait pas de troubles à l’ordre public contrairement à ce qui était avancé (CE, 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme)*.
*En revanche, l’interdiction de son port, dans les piscines municipales, a été admise par le Conseil d’État mais pour d’autres raisons, (CE, CE, 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n°464648).
Il est intéressant de mettre cet arrêt Benjamin en perspective avec la période de covid-19 où les restrictions aux libertés ont été nombreuses et égard à la situation. Par exemple, il a fallu concilier la possibilité de manifester avec les mesures sanitaires. Le juge administratif a notamment suspendu plusieurs décrets qui limitaient la possibilité de manifester (CE, 13 juin 2020, LDH ; CE, 6 juillet 2020, CGT et autres).
C’est quoi le contrôle de proportionnalité ?
Le contrôle de proportionnalité est un moyen à la disposition du juge de vérifier qu’une mesure de police adoptée par une autorité administrative n’excède pas ce qui est imposé par l’objectif de préservation de l’ordre public poursuivi.
Résumé de l’arrêt Benjamin
Pour résumer l’arrêt Benjamin, il faut retenir que le maire, autorité de police administrative générale dans sa commune, doit prendre toutes les mesures qui s’imposent pour protéger l’ordre public. Dès lors, il peut restreindre les droits et libertés à condition que la mesure prise soit proportionnée au but poursuivi.
Dans l’affaire Benjamin, le maire a interdit le déroulement de deux réunions publiques qui risquaient de générer des troubles à l’ordre public. Cette mesure étant trop contraignante par rapport à ce que le maire pouvait faire, le juge administratif l’a annulée pour excès de pouvoir.
Questions diverses autour de l’arrêt Benjamin
On vous l’a dit, pour mieux comprendre (et faire un commentaire d’arrêt) il est nécessaire d’inscrire l’arrêt Benjamin dans le contexte du cours, ce qui permet de s’intéresser à diverses questions :
Qu’est-ce que la police administrative ? ;
Qu’est-ce que l’ordre public ? ;
Pourquoi on n’a pas mis la fiche d’arrêt Benjamin en PDF ?
Quel est le triple test de proportionnalité ?
Qu’est-ce que la police administrative ?
La police administrative fait référence aux décisions des autorités administratives en vue d’assurer, notamment, la préservation de l’ordre public*.
*Il existe la police administrative générale, dont c’est la finalité (CE, 11 mai 1951, Baud ; TC, 7 juin 1951, Noualek) et les polices administratives spéciales qui ont d’autres finalités prévues par les textes.
C’est quoi l’ordre public ?
L’ordre public renvoie à a finalité de la police administrative. Il a des composantes dites « matérielles » et des composantes dites « immatérielles ».
Les composantes matérielles font référence à la sécurité, la salubrité, la tranquillité (on retrouve ces composantes à l’article L. 2212-2 du CGCT) ;
Les composantes immatérielles renvoient à la dignité de la personne humaine (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) et à la moralité publique (à nuancer*, CE, 18 décembre 1959, Société Les Films Lutétia).
*Cette composante est rarement admise et avait été invoquée dans le cadre de circonstances locales particulières dans l’affaire citée.
Quel est le triple test de proportionnalité ?
Le triple test de proportionnalité renvoie en réalité à triple exigence imposant :
Adéquation entre la mesure adoptée et le but poursuivi de protection de l’ordre public ;
Nécessité, c’est-à-dire, ne pas excéder ce qu’impose la réalisation du but poursuivi ;
Proportionnalité, c’est-à-dire ne pas imposer des charges hors de proportion par rapport au résultat recherché.
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